Sécurité sanitaire et qualités sensorielles : la biodiversité microbienne au service des fromages au lait cru
(INRA)
Fiche de Presse Info. 28/04/2010
La sécurité sanitaire des fromages au lait cru est au cœur des préoccupations des professionnels de cette filière parce qu’ils sont occasionnellement contaminés par des bactéries pathogènes. La biodiversité joue à ce titre un rôle fondamental dans la fabrication des aliments. Une équipe de chercheurs de l’INRA de Clermont-Ferrand-Theix a établi que des communautés microbiennes complexes naturellement présentes à la surface de fromage au lait cru tel le Saint-Nectaire peuvent les protéger contre le développement de la bactérie Listeria monocytogenes. En jouant sur la diversité et la complexité des associations microbiennes, les chercheurs estiment que la diversité des populations de bactéries lactiques est un facteur clef pour limiter le développement de ce pathogène lors de l’affinage.
La production de fromages traditionnels au lait cru, en particulier les fromages d’appellation d’origine protégée (AOP) tient une place importante dans l’économie laitière française. Parallèlement, les fromages au lait cru doivent répondre aux exigences des normes sanitaires de la réglementation européenne vis-à-vis des germes pathogènes et des germes indicateurs d’hygiène. Cependant, le risque sanitaire associé à leur consommation est très faible, comme en témoigne le nombre peu élevé de toxi-infections alimentaires collectives et de listériose, au regard d’une production annuelle qui dépasse 170 000 tonnes.
Cette maîtrise résulte de contrôles rigoureux mis en œuvre tout au long de la chaîne de production mais également de barrières biologiques, liées à la biodiversité microbienne spécifique des fromages au lait cru, leur permettant ainsi d’assurer leur propre défense. Ainsi, la perte de biodiversité microbienne des laits par microfiltration ou pasteurisation favorise le croissance de L. monocytogenes, qui se développe plus en cours d’affinage dans les fromages au lait pasteurisé ou microfiltré que dans ceux au lait cru.
Les travaux de l’Unité de Recherches fromagères du centre INRA de Clermont-Ferrand-Theix visent à maîtriser la qualité des fromages au lait cru en se donnant comme priorité leur sécurité sanitaire sans pour autant altérer la diversité et la richesse de leurs qualités sensorielles déterminées par la biodiversité microbienne qu’ils abritent.
Pour démontrer et comprendre les fonctions inhibitrices des communautés microbiennes des fromages au lait cru, les chercheurs de l’INRA, dans le cadre du projet européen Truefood, ont sélectionné des communautés microbiennes naturellement présentes sur des croûtes de Saint-Nectaire, puis ont testé leurs capacités inhibitrices en surface de fromages. Lorsqu'un ferment unique est présent à la surface du fromage, la croissance de L. monocytogenes est importante. Par contre, elle est fortement réduite en présence de communautés microbiennes habituellement présentes sur les croûtes de Saint-Nectaire. Plus particulièrement, 10 mélanges complexes parmi les 34 testés se sont révélés fortement inhibiteurs.
La communauté microbienne la plus inhibitrice a été étudiée. Elle est composée d’une grande diversité d’espèces microbiennes appartenant aux groupes des bactéries lactiques, des bactéries à Gram positif et catalase positive, des bactéries à Gram négatif et des levures. Les travaux montrent qu’il est difficile de reconstituer une communauté aussi inhibitrice que cette dernière en associant quelques individus microbiens de ces différents groupes. Par omission successive d’un ou plusieurs groupes microbiens, les chercheurs entrevoient que le secret de l’inhibition de L. monocytogenes, lors de l’affinage des fromages, résiderait dans la diversité des populations de bactéries lactiques, incluant des espèces halophiles (1 ) peu fréquentes dans les produits laitiers..
L’unité de Recherches fromagères s’attelle désormais à percer ce secret en s’interrogeant sur l’origine des communautés microbiennes des fromages au lait cru et leur organisation, tout en déployant des moyens d’investigation pour mieux comprendre leur développement, leurs interactions et leur mode d'action dans l'inhibition de croissance desListeria.
(1) Une espèce halophile est une espèce qui se développe en milieu salé.
Référence:
Is microbial diversity an asset for inhibiting Listeria monocytogenes in raw milk cheeses? Dairy Sci. Technol. DOI: 10.1051/dst/2010010
Émilie Retureau, Cécile Callon, Robert Didienne, Marie-Christine Montel.
INRA, UR545 Recherches Fromagères, 20 côte de Reyne, 15000 Aurillac, France
dacteur : | Service Presse INRA |
tél : 01 42 75 94 12 ou [email protected] |
Contacts :
Marie-Christine MONTEL
tél. : 04 71 45 64 11
[email protected]
Unité de Recherches fromagères
département Microbiologie et chaîne alimentaire
centre INRA Clermont-Ferrand-Theix
http://www.inra.fr/presse/la_biodiversite_microbienne_au_service_des_fromages_au_lait_cru
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Qu'est-ce que le lait cru ?
Agriculture, alimentation, environnement - Janvier 2008
A propos des bénéfices et des risques des fromages au lait cru
Qu'appelle-t-on lait cru ?
par Marie-Christine Montel
La définition réglementaire du lait cru est donnée par l'article 2 de la directive CEE 92/46, il s'agit d'un lait non chauffé au-delà de 40 °C et n'ayant subi aucun traitement d'effet équivalent. L'étiquetage "fromage au lait cru" s'applique uniquement aux fromages fabriqués intégralement au lait cru.
Quelle est l'importance du marché français des fromages au lait cru ?
Les fromages au lait cru sont des produits à forte valeur ajoutée, ils ont ainsi une importance économique non négligeable : leur production représente environ 16% de la production nationale de fromages affinés. En 2003, les entreprises laitières ont ainsi produit 1,8 millions de tonnes de fromage dont 184 000 tonnes de fromages au lait cru (Source : Cniel). La filière laitière emploie par ailleurs 200 000 personnes (140 000 en production, 60 000 en transformation).
La production fromagère traditionnelle est donc un élément important du tissu économique et social des régions : elle s’inscrit dans une dynamique de développement rural et d'aménagement du territoire, elle évite la désertification de certaines zones en fournissant une source de revenus non négligeable aux agriculteurs.
Quels sont les risques et les bénéfices liés à la consommation des fromages au lait cru ?
Les producteurs de fromages au lait cru ont à concilier des exigences multiples : celles de la réglementation européenne pour en garantir la qualité sanitaire, celles du consommateur qui éprouve du plaisir à consommer des fromages au lait cru dont il reconnaît les qualités gustatives et la dimension culturelle tout en s’interrogeant sur leur valeur santé.
Les détracteurs des fromages au lait cru mettent en avant le risque sanitaire, risque qui n’est jamais nul quelle que soit la production considérée. Les producteurs de fromage au lait cru sont très vigilants sur la qualité microbiologique de leur matière première. Leurs produits, soumis à la législation européenne (paquet hygiène 852-853/2004), doivent répondre aux normes sanitaires en sortie de production. Des progrès indéniables ont été faits pour maîtriser les contaminations dès la production de lait. Il en résulte des mesures d’hygiène drastiques et de plus en plus rigoureuses telles que la mise en place de démarche de type HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point, méthode et principes de gestion de la sécurité sanitaire des aliments).
La contribution des laits et produits laitiers aux intoxications àSalmonella, Staphylococcus aureus ou Listeria est difficile à évaluer, elle représenterait moins de 6 % par rapport aux autres produits.
S. aureus reste l’espèce bactérienne la plus impliquée dans les toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) dues aux produits laitiers mais n’a jamais été responsable de décès (Dufour et al, 2005). Lait pasteurisé, lait cru ou autres se partagent la responsabilité de ces intoxications alimentaires sans grandes différences (Debuyser et al, 2001).
Depuis 1997, le nombre de cas de listeriose s’est stabilisé autour de 200 cas par an et concerne à plus de 50% des personnes dont le système immunitaire est perturbé, femmes enceintes, personnes âgées, nouveaux nés….
Lignée entérocytaire infectée par L. monocytogenes. Durée d'infection : 2 h de contact plus 1h30 de développement intracellulaire. © Inra, P. Velge
Les plans de surveillance de la contamination par L. monocytogenes de la Direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes font apparaître une diminution particulièrement forte des fromages contaminés depuis 1995 (13 % des fromages contaminés entre 1993 et 1996 contre 5 % entre 1997 et 2000) (Goulet et al. 2006). L. monocytogenes est plus souvent détecté dans les fromages au lait pasteurisé (8 %) que dans ceux au lait cru (4,8 %) (Rudoph et Scherer, 2001). En France, sur une période de10 ans (1987-1997), 73 infections dues à la consommation de fromages ont été recensées pour 2 millions de tonnes de fromages au lait cru.
En conséquence, la production de fromages, dont celle au lait cru, est de plus en plus sûre et les intoxications les plus graves sont souvent associées à des procédés technologiques ou à des stockages défectueux avant consommation.
Si l’analyse des risques est de plus en plus courante, l’analyse des bénéfices est encore trop souvent occultée.
Les bénéfices des fromages au lait cru sont indéniablement liés à la diversité des populations microbiennes peuplant l’écosystème fromage.
Ainsi, plus de 150 espèces microbiennes (bactéries, levures ou moisissures) ont été inventoriés dans les laits crus, chacun avec son propre équilibre en terme d’espèces et de souches (Callon et al., 2007, Delbès et al, 2007). Cette diversité persiste même si les pratiques de production de lait uniquement basées sur l’hygiène tendent à diminuer quantitativement les niveaux de flore microbienne.
La diversité des populations microbiennes des laits crus est à l’origine d’une grande variété de molécules aromatiques, elles mêmes à l’origine de la diversité et de la richesse sensorielle des fromages au lait cru (Montel et al, 2005). Cette biodiversité ne peut être reproduite lors de l’ensemencement des laits pasteurisés ou microfiltrés dans lesquels seul un nombre limité de souches est ensemencé ce qui conduit à une uniformisation des caractéristiques sensorielles.
La biodiversité microbienne est également un atout pour faire barrière aux microorganismes pathogènes (Millet et al, 2006). Les populations microbiennes peuvent inhiber les espèces opportunistes ou pathogènes par acidification du milieu, production de métabolites inhibiteurs (acides organiques, éthanol, bactériocines) ou par compétitions nutritionnelles.
Des études épidémiologiques ont montré que la consommation de lait de ferme assurerait une protection contre l’asthme et l’allergie (Waser et al, 2007). La consommation de produits fermentés aux flores complexes pourrait améliorer les défenses immunitaires (Moreau et Vuitton, 2002) ou limiter la colonisation des voies intestinales par certains microorganismes résistants aux antibiotiques (Bertrand et al, 2007).
L’exposition aux micro-organismes dans la prime enfance préviendrait des désordres atopiques (Racila et Kline, 2005). Les jeunes enfants vivant dans des familles nombreuses, dans des fermes ou en contact avec des animaux, auraient une sensibilité moindre aux allergènes (Riedler et al, 2000).
© Inra, A. Perennes
Il est indéniable que les bénéfices des fromages au lait cru dépasseront d’autant plus les risques que la production de lait et sa transformation toujours guidées par l’hygiène sauront prendre des mesures pour préserver la biodiversité microbienne d’intérêt technologique.
Quelques références
Bertrand et al, 2007, J Appl Microbiol, 102, 1052
Debuyser et al, 2001, Int J Food Microbiol, 67, 1
Delbès et al, 2007, Appl Environ Microbiol, 73, 1882
Callon et al, 2007, Syst Appl Microbiol, 30, 547
Goulet et al, 2006 Euro Surveill., 11, 79
Moreau et Vuitton, 2002, Congrilait
Montel et al, 2005. in Les fermentations au service des produits de terroir. Editions Quae, Paris
Rudof et Scherer, 2001, Int J Food Microbiol, 63, 91
Racila et Kline, 2005, J Aller ClinImmunol, 116, 1202
Riedler et al, 2001, Lancet, 358, 1129
Saubusse et al, 2007, Int J Food Microbiol, 116, 126
Waser et al, 2007, Europe Clin Exp Allergy 37, 661
Marie Christine Montel dirige l’UR545 Recherches fromagères. Aurillac,Département Microbiologie et chaîne alimentaire. Les recherches menées par son équipe s'inscrivent dans le contexte socio économique de la production de fromages traditionnels au lait cru. Elles visent à maîtriser les différentes dimensions de la qualité des fromages au lait cru en se donnant comme priorité la sécurité sanitaire de ces produits sans altérer la diversité et la richesse de leurs qualités sensorielles.
https://www.inra.fr/la_science_et_vous/apprendre_experimenter/questions_d_actu/2008/le_lait_dans_tous_ses_etats/qu_est_ce_que_le_lait_cru
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