Quelques conseils médiévaux pour éviter la gueule de bois…
« Laide chose », au Moyen Âge, que l’ivresse. C’est peu dire. Les savants, les hommes de l’Art, les jongleurs même ne manquent pas une occasion de décrire les méfaits de l’alcool. D’abord la trogne rougie, l’homme pris de boisson devient ensuite « tout pâle d’avoir trop bu », dit Chaucer, l’auteur des Contes de Canterbury. Ensuite, son haleine se charge, les fumées du vin lui montent à la tête. Il ne maîtrise plus son élocution, jacasse comme un geai pour commencer, puis sa langue s’embarrasse : « Je vous déclare que je suis saoul ; je m’en aperçois bien à ma voix qui hésite un peu », dit un meunier, dans les Contes de Canterbury ; ensuite, il « débite de travers », emploie les mots l’un pour l’autre, ne sait plus ce qu’il dit. Puis il se met à voir double, lit-on dans les Carmina Burana.
De manière imagée, un prédicateur décrit ainsi l’homme ivre : « Il lui semble voir ce qu’il ne voit pas, il lui semble que sa maison tourne et s’enroule sur elle-même […], il ne sait plus se servir de sa langue, il ne sait pas parler, il ne sait pas ce qu’il dit, il balbutie, il se précipite, il tronque et il coupe les mots, […], il chancelle, il titube, et, comme un porc, il aime se vautrer dans la boue ».
Plus savamment, l’encyclopédiste Barthélemy l’Anglais dit de l’ivrogne qu’il « a le visage rouge et les joues pendantes, les yeux pleins de sang, les paupières châssieuses ; les mains lui tremblent ; sa langue est pâteuse ; l’haleine lui pue plus qu’un sépulcre et il a mal à la tête ; il a également la bouche amère et il a soif, ce qui le fait se lever de son lit, et ainsi, comme la sangsue, tant plus boit, tant plus veut boire » ! Pour autant, l’érudit ne recommande pas aux membres de la famille de l’ivrogne de l’empêcher de boire, il leur conseille seulement de l’empêcher de boire du vin qui soit contraire à son tempérament…
Les hommes et femmes pouvaient avaler jusqu’à trois litres de vin par jour
De fait, longtemps, le discours médical n’a rien fait pour limiter la consommation de vin. Les médecins se contentent de dire que mieux vaut boire cette boisson hygiénique « modérément ». Mais boire modérément, dans un monde où hommes et femmes avalent jusqu’à trois litres de vin par jour, n’a manifestement pas le même sens qu’aujourd’hui. Aldebrandin de Sienne, un médecin de la fin du XIIIe siècle qui exerçait à Troyes, dit en substance : « Qui boit tel vin modérément a bon sang et bonne couleur. Le vin rend l’homme heureux, débonnaire et bien parlant ».

Au Moyen Âge, boire modérément, c’est être déjà un peu ivre. On s’illusionne d’ailleurs sur la nature de l’ivresse. Le Livre des simples médecines de Platearius distingue deux types d’ivresse, différant selon le cépage. Ainsi, « l’ivresse que provoque le raisin blanc est très vite dissipée, et celle que provoque le raisin noir, au contraire, se ressent plus longtemps […]. L’ivresse provenant des raisins roux et citrins est d’effet et de persistance moyenne. En règle générale, plus l’ivresse due à un vin vient tôt, plus tôt elle se dissipe ; plus tard viendra-t-elle et plus tard se dissipera-t-elle. »…
Le Tacuinum sanitatis propose de déguster, avant de boire, des nèfles et des amandes douces, et, après boire, de manger des châtaignes
Mieux encore, plutôt que de moins boire, les médecins conseillent de se prémunir contre l’ivresse en ingérant des aliments censés la maintenir dans des doses raisonnables. Ils prescrivent à leurs nobles patients des remèdes préventifs contre l’ébriété, qui leur permettent de boire plus de vin : par exemple, avaler un verre d’huile une demi-heure avant de boire du vin. Le Tacuinum sanitatis propose de déguster, avant de boire, des nèfles et des amandes douces, et, après boire, de manger des châtaignes qui supprimeraient la nausée et les haut-le-cœur ! Pour ne pas avoir mal à la tête, conséquence de l’ingestion de vins forts tels que le vin d’Auxerre, Barthélemy l’Anglais prescrit de boire du vin froid, voire mêlé de neige et glacé. Enfin, pour éliminer les effets déplaisants de l’ivresse, les médecins prescrivent le vomissement. Si l’on n’était pas assez saoul pour vomir spontanément, des boissons aux herbes sont préparées pour les ivrognes. Une herbe est notamment employée comme vomitif, l’asaret, appelée vulgairement « herbe de cabaret ». Paradoxe apparent, les feuilles de cette plante doivent à cette fin être macérées dans du vin toute une nuit puis avalées avec du vin. Une autre recette courante dans les pays méditerranéens consiste à mâcher de la canne à sucre en grande quantité puis de boire de l’eau salée…
Le mieux était bien sûr de se contenter d’une légère ébriété, la meilleure des ivresses aux yeux des médecins, celle qui permet aussi de bien dormir, raison pour laquelle le vin est recommandé aux insomniaques !
En attendant, nous vous souhaitons un excellent réveillon du Nouvel An, de bons moments avec vos proches, et faites tout de même un peu la fête !
Extrait d’Histoire et Images Médiévales thématique n°29, Le vin au Moyen Âge, p.42-43. « A la trogne reconnaît-on l’ivrogne »
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